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Médecin sur l'île d'Yeu
La barbe blanche taillée, le coquillage autour du cou, Philippe Andrieux a tout d’un chevalier des îles. Né sur l’île d’Yeu, on ne pouvait lui prêter meilleur destin. Peu l’ont aperçu ce jour de tempête, lorsqu’il s’est retrouvé accroché au bout d’une corde à vingt milles au large, pour secourir un marin emporté par une lame. Pourtant le lendemain, la nouvelle avait fait le tour de l’île.
Médecin de plongée, des urgences, d’infectiologie, gérontologie, pédiatrie et bien d’autres encore. Son exercice est rompu à bien des techniques. Forcément puisque ici, “la médecine est d’abord un choix de vie”. Jamais un hasard. Pour Philippe, un héritage. “Mon père était médecin de campagne dans le fin fonds du Cotentin. J’avais sept ans quand il nous a embarqués en Nouvelle-Calédonie, où il soignait les autochtones.”
Une chose est sûre : Philippe médecin, ça ne pouvait être ni dans l’antichambre des blocs opératoires, ni à demeure, accolé à une salle d’attente. Mais en Guyane pendant cinq ans, “à 300 km de l’hôpital le plus proche”. Puis l’île d’Yeu.
Lorsqu’il y revient en 1979, la médecine insulaire en prendra un coup. On le reconnaît, Philippe, dans les ruelles qui courent derrière le port, lui qui ado, venait travailler pour les mariages à la belle saison. Dans la maison familiale, l’été, on continue à y cuisiner le thon en conserve. Comme un doux rappel : Yeu est la dernière île française de l’Atlantique à avoir gardé une pêche d’importance en haute mer.
Le jeune docteur s'est installé en libéral avant d'imposer une nouvelle approche : la création d'un cabinet regroupant les médecins islais, pour lutter contre la vulnérabilité de l'offre de soins : "j'ai souhaité que chaque médecin puisse accéder à tous les dossiers médicaux, avec une caisse unique et un partage des bénéfice." De mémoire d’Islais, on n’avait jamais vu ça. La gestion sanitaire, la polyvalence, le soin de premier recours priment. En 1985, sur cette île loin de tout (la plus distante du continent après la Corse), les médecins sont encore appelés pour un accouchement, ou susceptibles de partir en mer pour un sauvetage. Aujourd’hui, la technique a oeuvré. Ces dames accouchent à Challans et les marins en péril sont hélitreuillés par la Marine nationale. Reste à la charge des cinq médecins islais (et, d’office, correspondants du Samu), le choix crucial de la décision. L’évacuation sanitaire médicalisée, pas une mince affaire. Et les habitants tiennent à leur rocher. Une unité de fin de vie, à domicile ou à l’hôpital local, accueille la plupart des Islais en partance pour leur dernier hiver.
La bascule des saisons participe aussi à l’identité de l’île. Car vivre sur Yeu, c’est accepter la dualité de son rythme. 5 000 habitants l’hiver, 30 000 l’été. C’est sentir battre l’insularité dans ses veines. Ici, n’est pas Islais qui n’a pas “deux fesses” nées à Yeu. Et encore. Cette insularité génère une solidarité unique entre les acteurs de la santé. Un modèle expérimental prévoit d’ailleurs leur regroupement dans un pôle inédit. “Ce projet, nécessaire pour optimiser et pérenniser l’offre de soins, pourrait bien être reproductible à la campagne, idéalement adossé à un hôpital local”.
Vivre sur l’île, c’est enfin, pour Philippe, accepter de s’en séparer pour mieux revenir. Le sel des rivages lointains revient à la faveur de l’hiver. L’Afrique, où il a noué au fil de ses virées un ancrage associatif et humanitaire, “Yeu-Mali”. Dans sa véranda, des feuilles d’armoise sèchent en prévision d’un futur voyage. “Elles ont des vertus contre le paludisme. Ici, les maraîchers s’en servent comme d’un répulsif naturel”, sourit-il. À 66 ans, Philippe Andrieux est devenu le seul vieux loup de la médecine sur l’île d’Yeu. Une référence qui n’en fait pas moins un Islais à part. “Je ne suis pas "le" médecin. Mais plutôt celui qui va boire un verre avec les voisins, discute sur le quai… On me sollicite, oui, mais ma notoriété, c’est un peu le désavantage de l’âge !”.
Jamy Gourmaud, passeur de savoirs
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(crédit photo : RNN Baie de l'Aiguillon, 2003)
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